LA TRAVERSÉE DES APPARENCES
Mathilde Lavenne s’intéresse depuis longtemps à la dimension anthropologique des sociétés qu’elle est amenée à rencontrer dans son travail mais aussi à leurs rapports aux mythes et à la cosmogonie qui fondent certaines de leurs croyances. Derrière cela, c’est la profondeur des paysages où vivent les hommes qui la requiert, une profondeur aussi bien physique que psychique, proprement insondable comme on pouvait déjà le comprendre dans son film de 2013 au titre évocateur, Focus on Infinity.
Ici cette question du paysage est de nouveau centrale mais elle va être reconsidérée par l’artiste en utilisant, pour une part, des moyens techniques assez différents. Avec Ground Control (« clin d’œil à la fois à la tour de contrôle, à l’observation de l’espace, et à la nécessité de contrôle que l’être humain développe dans un environnement comme celui de la Casa Proal» écrit-elle), Mathilde Lavenne procède à une sorte de transduction du paysage.
En travaillant à partir de données numériques, elle se sert d’un scanner FARO, utilisé en architecture pour scanner des bâtiments. Elle installe cet appareil sur divers sites et suit certains tracés sur la carte, certains repérages qu’elle a pu faire à pied pour produire ces images stratifiées, comparées à « une sorte de carte fantôme du site choisi ». Puis de la myriade de points ainsi obtenus, elle nous restitue un paysage en trois dimensions. Mathilde Lavenne obtient grâce à ce procédé une superposition de couches qui donne à sa progression dans ces allées de bananiers l’allure d’une traversée des apparences, au sens le plus littéral. La nature semble alors un feuilleté de pellicules finement grillagées faisant se connecter différentes surfaces du réel pas nécessairement en rapport les unes avec les autres dans notre expérience ordinaire.
Les vues en noir et blanc peuvent donner l’impression que ce sont des images prises la nuit avec des lunettes infra-rouges sauf que, précisément, on n’obtient ni l’inversion des valeurs ni le ton verdâtre qui caractérise de telles images. Ici, on a vraiment le sentiment de pénétrer la structure de la matière et d’atteindre ce qui nous demeure ordinairement invisible si bien que, avec ce travail, nous sommes invités à découvrir non pas un paysage que nous ne connaitrions pas mais l’étrangeté même du monde dont il n’est qu’un élément.
Gilles A. Tiberghien
FÉVRIER – MAI 2017