UN RÊVE CAPITAL

Fred Martin travaille la terre, c’est son médium de prédilection, pas parce qu’il la tournerait ou la manipulerait, comme on le fait d’une matière ductile avec ses mains, mais parce qu’il y trouve un rapport élémentaire qui le situe au cœur de toute son activité artistique. La référence à l’argile primordiale ne peut-être tout à fait évitée ici mais elle n’est pas non plus d’un grand secours pour comprendre ce travail dont deux aspects sont visibles à la Casa Proal : l’importance de l’empreinte de tout le corps, à l’échelle de l’artiste lui-même, et, à l’inverse, la magnification d’une partie de ce corps, la tête, dont Fred Martin a trouvé des modèles impressionnants dans l’art Olmèque.
La démarche comme on pouvait s’y attendre ne procède d’aucune idée à priori chez cet artiste mais d’une obsession, d’une forme d’esthétique qui fait sa signature et qui tient à l’unicité d’une vision et à un engagement profond avec le matériau. Le corps à corps avec la glaise auquel on assiste dans le film est impressionnant de ce point de vue : si, au premier abord on peut songer au travail d’Anna Mendieta on comprend assez vite que ce rapprochement, sans être absurde, est superficiel car la trace du corps de l’artiste cubaine se donne comme une matrice, celle de Fred Martin comme une forme de « reconnaissance ».
La beauté du geste de Fred Martin tient non seulement à l’espèce de familiarité que l’on sent entre lui et cette matière mais aussi et surtout à l’envie qu’il a de la faire aimer comme un bien commun appartenant à chacun et nous concernant tous. La terre si souvent maltraitée, n’est plus ici sommée de « rendre » quelque chose. On ne lui soustrait plus ses produits, on ne l’exploite plus simplement on lui redonne sa dimension humaine. Des mains, des visages, de face ou de profil, une multiplicité de visages qui ont consenti à ce contact restituant ce lien originaire, l’humus, dont vient le mot « humain ».
Après de nombreuses hésitations et réflexions et en fonction des matériaux à sa disposition sur le terrain Fred Martin a réalisé une tête monumentale à l’entrée de la Casa Belin, une tête qu’il ne voulait pas, dit-il, installer dans un endroit où personne ne la verrait. Cette tête accueille le visiteur qui entre dans sa bouche démesurément ouverte comme l’énigmatique sculpture du jardin de Bomarzo en Italie, dite Porte de l’Ogre – ou de l’enfer. Mais, ici, c’est plutôt l’idée que chacun partage les mêmes rêves, dans la tête d’un homme, quel qu’il soit, quand il pénètre dans cet endroit.

Gilles A. Tiberghien

FÉVRIER – MAI 2017



FRÉDÉRIC MARTIN




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